lundi 13 février 2017

N'essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell (Gaïa)


Il y a des livres qui naissent avec un léger bourdonnement qui se transforme en murmures et en rumeurs. À force d'en entendre autant parler, on finit par le prendre dans ses mains, avec appréhension, et si pour nous la magie ne passait pas ? Quand le livre en question fait presque de 600 pages, parle des débuts de l'épidémie du sida en Suède, c'est clairement un risque à prendre.
Heureusement, il y a de ces livres qui nous happent dès les premières lignes. Vous connaissez ce petit frisson de bonheur qui nous traverse car on sait que la lecture sera marquante ? Ces pauses qu'on prend car il faut bien aller chercher son air à l'occasion. Ce livre qu'on lit avidement une journée et qu'on hésite à poursuivre le lendemain car on sait que la fin est proche, et que non, on ne veut pas que ça arrête... Alors, on le termine tranquillement, faisant nos adieux à des personnages qui nous habiteront longtemps.
Reine, Bengt, Lars-Ake, Seppo, Paul, Rasmus et Benjamin sont des gais qui veulent tout simplement aimer et être aimés en retour. Heureusement pour eux, en 1982, depuis quelques années l'homosexualité n'est plus considéré comme une maladie mentale dans le DSM-IV. Certains lieux leur servent de points de rencontre. Il faut connaître les codes, tout est encore à découvrir. Aux États-Unis, le premier politicien ouvertement gai élu, Harvey Milk a eu le temps de demander à ses semblables de sortir du placard avant de mourir assassiné. Il est temps d'avouer son orientation sexuelle et de la vivre sans se cacher . Sauf qu'une malédiction s'abat sur la communauté, une nouvelle maladie fait son apparition et elle foudroie les homosexuels. Reine en sera une des premières victimes en Suède. La nouvelle de son décès fera même la Une des quotidiens. Pour une partie de la population, ce cancer des gais est bien la preuve que leur moeurs sont condamnables.
En agrémentant son roman de données factuelles, Jonas Gardell donne de la chair à une histoire qui était déjà en soi passionnante. Le sida est apparu, il y a plus de trente ans maintenant. Plusieurs oeuvres étaient parues à l'époque pour raconter la maladie dont À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie d'Hervé Guibert et Les nuits fauves de Cyril Collard. Mais, la force de N'essuie jamais de larmes sans gants est qu'on a maintenant le recul nécessaire pour raconter les événements.
Jonas Gardell est un homosexuel très connu dans son pays. Avec son mari, ils forment un des couples les plus populaires en Suède. Dans les années 1980, il avait vingt ans. Ce qu'il raconte dans son roman est un véritable hommage à ses amis disparus.
Ça faisait longtemps qu'un livre n'était venu me chercher avec autant de force. J'ai compris lorsque je l'ai terminé pourquoi j'avais entendu tant de bons mots à son sujet. N'essuie jamais de larmes sans gants peut autant intéresser les grands lecteurs que les occasionnels, ceux qui se souviennent des ravages du sida, comme ceux qui étaient trop jeunes. Une grande lecture et un magnifique hommage à ces hommes qui sont décédés d'avoir voulu aimer.

- N'essuie jamais de larmes sans gants, Jonas Gardell, Gaïa

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